


L'Afrique, mais quelles Afriques ?
Le monde, mais quels mondes ?
Leurs interactions à travers les temps multiples
des multiples passés
requalifient à la fois l'Afrique et le monde.
Ce n'est pas toujours, ni en même temps, de toute l'Afrique
et du monde entier que nous parlons :
le faire croire ou même le tenter serait un leurre.
Nous parlons d'Afriques parties prenantes
d'un Ancien Monde « eur-asi-africain » d'abord,
puis vraiment global ;
d'Afriques plurielles qui choisissent d'adopter ou pas,
d'adapter ou pas, des innovations ;
de sociétés africaines
au sein desquelles se distinguent
des individus et des classes « connectés »,et d'autres non ;
de régions d'Afrique tantôt contributrices, tantôt arrière-pays,
de mondes globaux plus vastes qu'elles ;
de provinces africaines de mondes faits d'autres provinces.
En somme l'histoire interactive de l'Afrique et du monde
met la géographie en abyme.
Un extrait du livre L'Afrique et le monde : histoires renouées
L'histoire comme conversation
Mais, au fait, cette aspiration à renouer les histoires de l'Afrique et du monde, c'est-à-dire en somme à réécouter les interactions passées de sociétés qui n'ont évidemment jamais cessé d'être en la compagnie les unes des autres, est-elle autre chose qu'une conception de l'histoire globale comme conversation ? Contre le solipsisme historique qui nous fait malgré nous aborder le passé en sociétés isolées et homogènes - sinon en civilisations, en blocs continentaux, en races -, osons la métaphore de la conversation comme principe d'interaction dans l'histoire : les sociétés sont des interlocutrices en présence les unes des autres ; les faits culturels, des propositions ; les cultures, des états instables en attente d'inflexions et de réflexions. Pourquoi faire une histoire conversation ? Pour renoncer au récit monologue qui raconterait l'histoire depuis un bord, une expérience. Quand ce qui se passe se passe dans des durées et des géographies écartelées, quand les voix elles- mêmes s'interpellent depuis plusieurs bords, alors le récit qu'est l'histoire ne peut être que la tentative d'organiser la conversation des participants. {...]
Un autre bénéfice de notre proposition conversationnelle de l'histoire — et une autre complexité sur laquelle elle débouche - est de nous prémunir contre les équations identitaires. Le philosophe ghanéen et britannique Kwame Anthony Appiah a fait de cette question l'un des sujets sur lesquels il affûte sa pensée éthique. La question très actuelle des restitutions d'œuvres, tout particulièrement d'œuvres spoliées pendant la colonisation, est propice à de telles équations d'identités entre acteurs, régions et époques. « Qu'entendons-nous exactement lorsque nous disons qu'un objet appartient à un peuple ? », demande Appiah. Aurait-on raison de dire qu'une timbale trouvée dans une tombe viking en Angleterre appartient à la Norvège ? Faudra-t-il attribuer à une nation, et si oui laquelle, la chapelle Sixtine à Rome ? Et de demander, avec non moins de justesse que de provocation, tout en n'hésitant pas à rappeler ses origines aristocratiques akan : faut-il restituer au Ghana des œuvres qui ont été pillées dans un palais de Kumasi qui n'était à coup sûr pas ghanéen ? Ces équations identitaires posent des problèmes épineux aux diplomates chargés d'obtenir ou d'honorer des restitutions d'objets d'art - mais elles devraient poser des questions beaucoup plus graves encore aux historiennes et historiens ; car en nous faisant appréhender une certaine strate du passé à travers des catégories nationales ou ethniques qui lui sont postérieures, nous manquons de respect aux interlocuteurs de la conversation d'hier. Bien sûr, nous étions prévenus contre le risque de l'anachronisme - mais il n'est pas vain, au sujet de l'histoire de l'Afrique et du monde, de se souvenir que les catégories de l'identité (toutes les catégories de l'identité : races, couleurs de peau, ethnicités, langues, cultures, formations politiques, religions, adhésions, loyautés, noms de pays...) font elles aussi partie d'une histoire conversation : elles connaissent des transferts, des emprunts, des sorties et des retours, des transformations, des contestations. C'est prévenus de cette fluidité que nous proposons dans cet ouvrage un cahier de cartes que nous avons voulu à la fois créatives et faites pour conjurer la dureté des désignations géographiques - c'est-à-dire pour s'en approcher au plus près en détournant de nous leur pouvoir.
Extrait de L'Afrique et le monde :: histoires renouées, François-Xavier Fauvelle et Anne Lafont, éditions La Découverte.
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